- DURKHEIM ET LES DURKHEIMIENS
- DURKHEIM ET LES DURKHEIMIENSDurkheim est sans doute, de tous les sociologues classiques, celui qui reste le plus présent dans la sociologie contemporaine. Cela constitue une sorte de paradoxe. Conservateur, voyant dans le socialisme plutôt une conséquence des dérèglements engendrés par l’évolution des sociétés modernes qu’un remède possible à leurs maux, convaincu que l’individu ne peut être heureux que dans une société qui lui impose normes et contraintes, Durkheim n’est guère au goût du temps. Pourtant, le visage qu’il donna à la sociologie, la méthodologie qu’il élabora sont aujourd’hui revendiqués par la communauté scientifique des sociologues comme un bien commun. S’il n’échappa pas complètement à l’esprit de système, il démontra, peut-être le premier avec une telle force, que la sociologie pouvait être une science positive.1. DurkheimLes antécédentsÉmile Durkheim est né à Épinal en 1858, d’une famille de rabbins. Brillant élève au collège de cette ville, il se décida très tôt pour le professorat, prépara au lycée Louis-le-Grand l’École normale où il entra en 1879. Il y trouva, parmi ses condisciples, Bergson, Blondel, Jaurès, Janet. Il n’aima pas le climat de l’École: les jeunes normaliens lui paraissaient s’abandonner à une philosophie superficielle. Il eut cependant pour deux de ses professeurs, Fustel de Coulanges et Émile Boutroux, une admiration réelle.C’est surtout par la lecture qu’il découvrit ses véritables maîtres: Spencer, Renouvier et surtout Auguste Comte. De Spencer et de Comte, il retint le modèle d’une recherche sur les lois guidant l’évolution des sociétés. De Comte, il conserva la préoccupation de constituer la sociologie en une discipline autonome, ayant son champ d’application propre. De Renouvier, il hérita l’idée de faire de la morale une science positive. Ces trois préoccupations constituent des traits permanents de l’œuvre de Durkheim.Dans De la division du travail social , il tente de mettre en évidence une grande loi évolutive, un peu à la manière de Comte. Ensuite, il renoncera à faire de la recherche de telles lois le centre du travail du sociologue, mais il gardera toujours le souci d’analyser l’«évolution» des institutions, comme il le montre notamment dans son œuvre pédagogique.Le souci de constituer la sociologie en science autonome le guida toute sa vie. Toutes ses œuvres, Les Règles de la méthode sociologique , Le Suicide ou ses écrits sur l’éducation, illustrent le désir de réserver à la sociologie des méthodes propres et une manière spécifique d’aborder son objet.Quant à l’idée de faire de la morale une science positive, elle est présente à chacune de ses pages. Aussi bien la spéculation philosophique pure, à l’égard de laquelle il éprouva une grande répulsion à l’École normale, que la science désintéressée lui parurent toujours vaines. Ce qu’il lui importait avant tout était de constituer une science capable d’éclairer les sociétés sur leurs maux, capable d’indiquer les lignes d’action à partir desquelles il serait possible d’améliorer les rapports entre l’individu et la société. C’est pourquoi on trouve mêlées tout au long de son œuvre une analyse du fonctionnement des sociétés et une réflexion sur l’éducation: l’éducation n’est-elle pas le chemin privilégié par lequel l’individu s’insère dans la société?Durkheim fut en effet très sensible aux problèmes sociaux de son temps. Deux de ses livres parmi les plus importants: De la division du travail social et Le Suicide , sont nés d’une réflexion sur les désordres sociaux qui découlent de l’industrialisation massive des sociétés de son temps. Cette réflexion est d’ailleurs guidée par le climat de la IIIe République et par le souci que manifestent les hommes d’État de constituer une morale civique.La convergence entre les préoccupations du jeune Durkheim et l’esprit du temps explique sans doute que le ministère ait jugé utile de lui attribuer une chaire de pédagogie et de science sociale à la faculté des lettres de Bordeaux, et cela dès 1887, alors qu’il n’était encore que l’auteur de trois articles dans la Revue philosophique : «Les Études récentes de sciences sociales», «La Science positive de la morale en Allemagne», «La Philosophie dans les universités allemandes».Chronologie de l’œuvreCes trois articles étaient la conséquence d’un voyage entrepris par Durkheim en Allemagne pour y étudier les sciences sociales auprès de Wundt.Dès son arrivée à Bordeaux, il utilise le cadre de l’enseignement pour approfondir des thèmes qui lui sont chers. Son premier cours, en 1887, est consacré à «la solidarité sociale»; puis il traite des précurseurs de la sociologie (Aristote, Montesquieu, Comte), de «la famille et la nature des liens de parenté», de «la physique du droit et des mœurs».En 1893, il donne à la Revue philosophique un article sur le socialisme. Plusieurs fois il reviendra sur ce thème, comme cela est naturel puisque le socialisme fait, lui aussi, un diagnostic des maux des sociétés industrielles et propose un remède. Mais Durkheim ne croit ni au diagnostic ni au remède. Rien de bon pour la société ne lui paraît devoir sortir de l’opposition des classes. Il voit bien plutôt dans les doctrines socialistes la conséquence des dérèglements sociaux entraînés par l’évolution des sociétés industrielles. La même année, il soutient sa thèse de doctorat, De la division du travail social. La thèse complémentaire en latin sur La Contribution de Montesquieu à la constitution de la science sociale fait de nouveau écho à son intérêt pour ce précurseur.En 1895, il publie Les Règles de la méthode sociologique et fonde en 1896 L’Année sociologique. Cette revue recensera chaque année la production sociologique mondiale en de longues analyses qui témoignent de la diversité et de l’évolution des intérêts de Durkheim. Parmi ces études, beaucoup sont des chefs-d’œuvre du genre. Les premières portent sur «La Prohibition de l’inceste et ses origines» et sur «La Définition des phénomènes religieux». On trouvera ensuite dans L’Année de nombreuses analyses, dues à sa plume, sur des ouvrages de démographie (Bertillon, Prinzing, Juglar) ou, comme on disait, de «statistique morale», sur la sociologie religieuse, les théoriciens contemporains (Richard, Tarde), etc. Les premiers disciples, Bouglé, Fauconnet, Simiand, Mauss, partagent la responsabilité des rubriques de L’Année et signent les analyses.En 1897, il publie Le Suicide, étude de sociologie. Ensuite, on observe une recrudescence de l’intérêt de Durkheim pour l’analyse des phénomènes religieux. Il n’est pas impossible que ce fait soit pour une part au moins la conséquence de l’affaire Dreyfus, qui l’avait profondément bouleversé. Ses réflexions sur les phénomènes religieux culmineront en 1912 avec Les Formes élémentaires de la vie religieuse , le dernier des grands livres de Durkheim.Si la nature de sa production se modifie à partir de 1900, c’est que Durkheim est nommé en 1902 suppléant de Ferdinand Buisson à la chaire de science de l’éducation de la Sorbonne – il en deviendra titulaire à partir de 1906. Son activité essentielle se porte alors sur L’Année sociologique ainsi que sur son enseignement. Les cours et articles de cette période ont été rassemblés par ses disciples: Éducation et sociologie (P. Fauconnet), Sociologie et philosophie (C. Bouglé), L’Évolution pédagogique en France (M. Halbwachs), Leçons de sociologie physique et science des mœurs (G. Davy).En 1913, la chaire de Durkheim prend le titre de «chaire de sociologie de la Sorbonne». La même année, il fait une communication, demeurée célèbre, à la Société française de philosophie sur «Le Problème religieux et la dualité de la nature humaine». Puis vient la Première Guerre mondiale qui lui inspire trois écrits de circonstance, dont «L’Allemagne au-dessus de tout». Durkheim meurt le 5 novembre 1917.Les chefs-d’œuvre«De la division du travail social»Dans la Division du travail , Durkheim, encore largement sous l’influence d’Auguste Comte, tente d’établir une loi évolutive: celle du passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique.La solidarité mécanique ou «solidarité par similitude» est celle qui caractérise les sociétés archaïques: les individus sont semblables les uns aux autres, ils partagent les mêmes sentiments, obéissent aux mêmes croyances, aux mêmes valeurs. C’est la similitude qui crée la solidarité. La solidarité organique, caractéristique de nos sociétés, résulte au contraire de la différenciation des individus. Ici, les individus sont liés les uns aux autres parce qu’ils exercent des rôles et fonctions complémentaires à l’intérieur du système social.Ces deux types de solidarité constituent les deux pôles entre lesquels évolue la société. Le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique s’opère, selon Durkheim, non, comme le croient les économistes, parce que les individus auraient trouvé avantage à se répartir des tâches pour produire davantage, mieux ou plus vite, mais parce que l’extension et le caractère de plus en plus dense des sociétés (c’est-à-dire à la fois la concentration physique des individus et l’accroissement des communications et des échanges entre eux) ont brisé progressivement les similitudes et accru les différenciations entre les individus. L’explication des économistes a, au contraire, le défaut de postuler le phénomène qu’il s’agit d’expliquer: pour que les individus éprouvent le besoin de se répartir des tâches, il faut qu’il existe une conscience de l’individualité qui ne peut résulter que de la division du travail.Dès ce livre, on voit donc apparaître un certain nombre de thèmes fondamentaux de la sociologie durkheimienne: thème de la conscience collective, thème de la détermination des attitudes individuelles par la forme de la collectivité, thème de l’inégale présence des forces collectives dans la conscience individuelle selon les types de société. On y voit aussi apparaître le souci de la démonstration formelle, qui distingue Durkheim de Comte et préfigure les principes de méthode qui seront énoncés dans Les Règles et appliqués dans Le Suicide. Certes, étant donné l’étendue du problème posé, la démonstration ne pouvait être que fragile. Néanmoins, il est important de souligner que Durkheim a tenté d’imaginer un indicateur objectif du passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique, exactement comme il cherchera dans Le Suicide , avec beaucoup plus de succès, à établir des indicateurs objectifs de l’«anomie» ou de l’égoïsme.Ici, la démonstration repose sur l’hypothèse selon laquelle la solidarité mécanique est socialement renforcée par un droit de nature surtout répressive , tandis que la solidarité organique implique un droit de nature restitutive. En effet, dans le cas des sociétés à solidarité mécanique, la conscience collective est forte et étendue. La sanction correspondant à un acte interdit par la conscience collective doit prendre la forme de la répression. En revanche, lorsque la solidarité est organique, toutes sortes d’actes empêchant le fonctionnement de cette solidarité peuvent être sanctionnés par les règles du droit restitutif (droit commercial, droit civil, droit administratif, etc.). Ces relations une fois posées, la démonstration consiste à établir que la proportion des lois répressives décroît à mesure que le «volume» et la «densité» des sociétés croissent.«Les Règles de la méthode sociologique»Dans Les Règles , Durkheim s’est fixé deux objectifs. D’abord, de démontrer et de définir la spécificité de la sociologie; ensuite, de décrire les méthodes propres à cette discipline. Certaines des propositions émises par Durkheim à ce propos ont choqué des contemporains et donné lieu à de nombreuses discussions dont on retrouve l’écho dans la préface à la seconde édition du livre. Elles continuent quelquefois à donner lieu à contestation.Une de ces propositions est que «les faits sociaux doivent être considérés comme des choses». On y a vu soit un paradoxe, soit l’affirmation d’un scientisme intempérant visant à assimiler les faits sociaux aux faits de la nature. En réalité, ce que Durkheim veut dire, c’est non que les faits sociaux soient de même ordre que les faits de la nature, mais que le sociologue doit avoir à leur égard la même attitude mentale que le savant qui s’intéresse aux phénomènes naturels: «Est chose, écrit-il, tout objet de connaissance qui n’est pas naturellement compénétrable à notre intelligence, tout ce dont nous ne pouvons nous faire une idée adéquate par un simple procédé d’analyse mentale, tout ce que l’esprit ne peut arriver à comprendre qu’à condition de sortir de lui-même, par voie d’observation et d’expérimentation.» En conséquence, la proposition selon laquelle «les faits sociaux doivent être considérés comme des choses» revient à affirmer que l’explication des faits sociaux ne peut généralement être donnée directement, mais suppose une démarche inductive analogue à celle qu’utilisent les sciences de la nature.Cette proposition a été et continue d’être contestée, précisément parce que les faits sociaux sont parfois – ce que ne sont jamais les phénomènes naturels – directement intelligibles pour l’observateur. Cette remarque fonde les réflexions des sociologues ou philosophes des sciences qui, de Dilthey à Weber, insistèrent sur la spécificité des Geisteswissenschaften , arguant du fait que, dans les sciences de l’homme, l’observateur et l’observé appartiennent au même ordre de la nature. Sans nier le bien-fondé de telles remarques, il faut pourtant reconnaître que les faits sociaux apparaissent souvent opaques à l’intelligence; le phénomène du totémisme, le caractère sacré qui s’attache à certains symboles, comme le drapeau, notamment dans la période de nationalisme qui précède la Première Guerre mondiale, ne sont pas immédiatement «compénétrables à notre intelligence». De même si l’on considère les statistiques de suicides: on y observe que, sous toutes les latitudes, les célibataires se suicident plus que les gens mariés. Pourquoi? Sans doute est-il facile d’imaginer des hypothèses explicatives de ce phénomène. Mais ces hypothèses seront multiples, voire contradictoires. Comment donc décider entre elles si ce n’est par la voie, non de la réflexion, mais de l’«expérimentation»? Que l’on remonte en deçà de ce résultat et qu’on l’ignore pour un instant, il apparaît que, si les célibataires ont de bonnes raisons de se suicider, les gens mariés en ont autant. Or il n’est qu’une manière simple de décider entre ces arguments, c’est précisément de recourir aux faits.Durkheim a donc raison d’avancer que sa proposition de «considérer des faits sociaux comme des choses» est un «truisme», car seuls les préjugés qui proviennent du poids de la tradition philosophique fondent la croyance selon laquelle les phénomènes sociaux seraient immédiatement transparents pour l’intelligence humaine.Toutefois, la démarche inductive que Durkheim propose d’appliquer aux phénomènes sociaux n’implique pas que nous méconnaissions la familiarité que nous entretenons avec eux. La compréhension intuitive de ces phénomènes (le Verstehen des philosophes et sociologues allemands), si elle ne peut constituer une méthode spécifique de la sociologie, doit cependant être considérée comme un critère de l’analyse.Cette remarque conduit à une seconde proposition importante des Règles , selon laquelle l’explication d’un fait social doit toujours être recherchée dans un autre fait social.La proposition peut être illustrée par la critique que Durkheim adressera plus tard, dans Le Suicide , aux positivistes italiens. Ces derniers prétendaient interpréter directement des relations qu’ils avaient observées empiriquement entre certains phénomènes sociaux, tels que les taux de suicide ou de crime, et certains phénomènes naturels, tels que les saisons. Ainsi, ils avaient remarqué que le suicide est plus fréquent en été qu’en hiver et ils expliquaient cette liaison en postulant un état d’excitation physique due à la chaleur. Pour Durkheim, une telle explication est inacceptable; elle est obscure pour l’intelligence, dans la mesure où elle explique le phénomène social par des déterminants physiques. Réfléchissant sur les relations observées par les Italiens entre phénomènes cosmiques et suicide, il démontre alors que ces phénomènes cosmiques agissent sur le suicide non directement, mais par l’intermédiaire d’un autre fait social, à savoir l’intensité de la vie sociale, avec lequel ils sont en rapport. L’explication est ainsi ramenée à une relation entre deux faits sociaux: c’est parce que la vie sociale est plus intense en été que le suicide y est plus fréquent. L’interprétation est confirmée par le fait que le rythme des suicides suit non seulement le rythme des saisons mais l’ensemble des rythmes qui modifient l’intensité de la vie sociale. La règle qui consiste à expliquer un fait social par un autre fait social conduit non seulement à une preuve mieux assurée, mais aussi à une plus grande clarté du phénomène pour l’intelligence: alors que nous ne comprenons pas comment la chaleur pouvait expliquer l’accroissement du taux de suicide, nous comprenons que ce dernier varie avec l’intensité de la vie sociale.Aussi, bien que des phénomènes sociaux doivent être conçus comme «extérieurs» aux individus, et comme des «choses» non immédiatement intelligibles pour le sociologue, bien que leur analyse doive suivre la démarche inductive de toute science, ils ne peuvent être expliqués par des déterminismes extérieurs.Finalement la «méthode» à laquelle Durkheim aboutit représente – bien qu’il ne pose pas directement lui-même le problème en ces termes – une position de synthèse entre le positivisme des Italiens, qui traite les faits sociaux non comme des «choses» mais comme des faits physiques, et la tradition de la méthode «compréhensive». L’analyse doit aboutir à une transparence pour l’intelligence (c’est pourquoi la cause d’un fait social ne saurait être recherchée que dans un autre fait social), mais, en même temps, cette transparence n’est pas donnée d’emblée et doit être conquise par la comparaison et l’« expérimentation ».Mais qu’entendre par «expérimentation» dans une discipline où il n’est précisément pas possible de monter des expériences? Il s’agit essentiellement d’une comparaison systématique ou, comme nous dirions aujourd’hui, d’une analyse des relations entre variables. Durkheim qui, comme le montrent les comptes rendus de L’Année sociologique , n’ignorait pas la statistique croyait cependant que les méthodes proposées par Stuart Mill dans sa Logique , notamment l’analyse des variations concomitantes, représentaient le dernier mot de la méthodologie sociologique. Il est vrai que ce sont ces méthodes qu’il applique dans ses ouvrages «qualitatifs» comme la Division du travail ou Les Formes élémentaires. Mais dans Le Suicide , il fait preuve d’une ingéniosité dans l’analyse des distributions statistiques du suicide qui dépasse de loin les canons rudimentaires de Stuart Mill.«Le Suicide»Dans Le Suicide , Durkheim illustre certaines des propositions essentielles qu’on voit apparaître tout au long de son œuvre. On y trouve tout d’abord une gageure: démontrer la spécificité du social à propos d’un phénomène relevant apparemment surtout de la psychologie individuelle. Mais Durkheim a beau jeu de démontrer d’une part que les thèses qui font dériver le suicide d’«états psychopathiques» ne sont pas convaincantes, d’autre part que le suicide est incontestablement un phénomène social, puisque les taux de suicide varient considérablement et régulièrement en fonction des milieux sociaux: les protestants se suicident plus que les catholiques et d’autant plus qu’ils sont davantage majoritaires; le suicide est plus fréquent dans les pays où le divorce est plus répandu; il est également plus fréquent à la campagne qu’à la ville, etc.On trouve aussi dans Le Suicide la préoccupation centrale de Durkheim: celle de l’insertion de l’individu dans la société, de l’analyse des désordres sociaux et de leur influence sur l’individu. En effet, bien que Durkheim distingue trois sortes de suicide (et même quatre, si l’on tient compte d’une note de bas de page où il introduit le suicide fataliste), le suicide égoïste, le suicide anomique et le suicide altruiste, ce sont surtout les deux premiers types qui l’intéressent. Le suicide altruiste, caractéristique des sociétés où l’individu est fortement soumis aux valeurs collectives, n’apparaît en effet pour les sociétés de l’époque contemporaine que dans quelques milieux particuliers (le milieu militaire par exemple). En revanche, le suicide égoïste et surtout le suicide anomique sont caractéristiques des sociétés modernes.Tous deux découlent de l’évolution des sociétés qui rend les individus de plus en plus indépendants de la pression de la collectivité. Cela est vrai notamment du suicide anomique: des augmentations du taux de ce type de suicide s’observent par exemple en période de boom économique, lorsque – explique Durkheim – les ambitions et les aspirations des individus ne se trouvent plus bornées par des limites relativement précises mais s’ouvrent sur des perspectives indéfinies. Ainsi, on observe une augmentation systématique des suicides à Paris au moment des expositions universelles. De façon générale, les périodes de prospérité, lorsqu’elles surgissent brutalement, sont accompagnées d’une hausse des taux de suicide. De même, le relâchement de la société familiale, la plus grande liberté du divorce s’accompagnent d’une augmentation des taux de suicide: ce résultat dérive ici encore, selon Durkheim, de ce que l’apparente liberté qui en résulte, en supprimant les bornes dans lesquelles sont contenus les appétits sexuels, conduit en fait l’individu à l’insatisfaction. On retrouve ici le thème de la division du travail selon lequel l’affaiblissement des pressions collectives et des règles consécutif à l’évolution sociale explique certains phénomènes pathologiques des sociétés modernes. L’étude du suicide égoïste définit la relation entre affaiblissement de la pression de la collectivité sur l’individu et l’insatisfaction de ce dernier de manière générale. C’est le suicide de l’homme dont la conduite n’est pas guidée de l’extérieur par les normes et les pressions sociales, mais de l’intérieur par les règles qu’il se donne lui-même. Ainsi, le catholique, qui reçoit ses croyances et ses principes d’action de l’extérieur, se suicide moins que le protestant qui doit les prendre de sa conscience. Le père de famille dont la conduite est davantage soumise au regard de la société se suicide moins que le célibataire à qui la société pardonne plus aisément une conduite déréglée.Les rapports entre suicide égoïste et suicide anomique sont nombreux. Les deux types de suicide conduisent à constater l’importance des pressions sociales et du poids de la collectivité sur le comportement individuel: si ces pressions se relâchent trop, ce dernier devient erratique et peut aller jusqu’au désespoir. En fait, la distinction entre les deux types de suicide dérive surtout d’une différence d’éclairage: dans le chapitre sur le suicide égoïste, on trouve une démonstration de la relation générale entre intensité des contrôles sociaux et suicide; dans le chapitre sur le suicide anomique, l’éclairage porte sur la société: il s’agit ici d’analyser les conséquences, pour l’individu, des crises politiques, économiques ou institutionnelles qui caractérisent les sociétés modernes.«Les formes élémentaires de la vie religieuse »L’intérêt de Durkheim pour l’analyse des phénomènes religieux est ancien puisqu’il publie dès 1899, dans L’Année sociologique , une étude sur «La Définition des phénomènes religieux» et de nombreux comptes rendus sur des ouvrages de sociologie religieuse. Personnellement athée, convaincu que le rôle de la religion traditionnelle devait s’affaiblir avec le progrès scientifique et persuadé cependant de l’importance des croyances collectives pour la vie des sociétés, il était naturel qu’il s’intéressât à la sociologie des phénomènes religieux.La religion est conçue par Durkheim comme un phénomène qui, par-delà ses manifestations particulières, est d’essence universelle. Pour en saisir la nature, il choisit donc d’analyser la forme de religion qui, dans la perspective évolutive qu’il a héritée de Spencer et de Comte, lui paraît la plus simple, à savoir le totémisme australien, conçu comme «forme élémentaire de la vie religieuse». Il est alors conduit à définir la religion: si on la définit par la croyance en un dieu transcendant ou par la croyance au surnaturel, la religion cesse d’être un phénomène universel, car il existe de nombreuses religions qui n’impliquent ni dieu transcendant ni croyance en des forces surnaturelles. D’ailleurs la notion de surnaturel implique celle de nature et l’opposition des faits naturels aux faits surnaturels suppose le développement de la pensée positive. Surnaturel et transcendance doivent donc être considérés comme des notions tardives correspondant à des formes particulières de religion et ne pouvant servir à définir l’essence du fait religieux.Cette essence, Durkheim la trouve dans l’opposition entre sacré et profane, commune à tous les systèmes religieux: «Une religion est un système solidaire de croyance et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites.» Le problème consiste alors à expliquer pourquoi toutes les sociétés connaissent cette distinction, qu’il s’agisse des sociétés australiennes – où les membres du clan doivent s’abstenir de toucher au totem et manifester à son égard certaines formes de respect – ou des sociétés modernes (le drapeau). Si l’on explique les pratiques des Australiens en faisant dériver le totémisme d’une autre forme de religion, comme le culte des ancêtres ou le culte des animaux, on s’interdit d’expliquer le phénomène religieux dans sa généralité. Il faut donc en donner une autre raison: c’est, selon Durkheim, que le totem symbolise «une sorte de force anonyme et impersonnelle, qui se retrouve dans chacun de ces êtres (les animaux), sans pourtant se confondre avec aucun d’entre eux. Nul ne la possède tout entière et tous y participent. Elle est tellement indépendante des sujets particuliers en qui elle s’incarne qu’elle les précède comme elle leur survit». Si l’on accepte de voir dans le totem le symbole d’une force impersonnelle extérieure à l’individu, le totémisme devient une expression particulière du sacré, qui définit toute religion. La force impersonnelle dont le totem est le symbole se retrouve chez les Mélanésiens «sous le nom de mana , une notion qui est l’équivalent exact du wakan des Sioux, de l’orenda iroquois», à savoir une «force anonyme et diffuse dont nous découvrions tout à l’heure le germe dans le totémisme australien».Il s’agit alors d’expliquer pourquoi les sociétés sont conduites à concevoir cette force anonyme et diffuse dont elles considèrent les symboles comme sacrés. Pour Durkheim, une seule interprétation est possible, car la seule force réelle qui dépasse les individus et prend pour eux la forme d’une force anonyme et diffuse est la société elle-même: «Une société a tout ce qu’il faut pour éveiller dans les esprits, par la seule action qu’elle exerce sur eux, la sensation du divin; car elle est à ses membres ce qu’un dieu est à ses fidèles.» Toute société implique donc une autorité morale de la collectivité sur l’individu, autorité qui s’exerce non par la contrainte, mais par le respect. Ce respect est la source du sacré, il explique par conséquent le phénomène de la religion.Le sociologue moderne peut certes adresser de nombreuses critiques à Durkheim. Il est incontestable que cet homme de cabinet fut aussi un passionné et qu’il se fit surtout vers la fin de sa vie une conception de la société qui tendait de plus en plus vers une forme de spiritualisme. La permanence du thème de la «conscience collective», du thème de la contrainte de la société sur l’individu révèle un certain esprit de système. Mais il indiqua en même temps, dans Le Suicide et dans Les Règles notamment, la direction que pouvait prendre une sociologie positive. Le premier de ces deux livres constitue encore un modèle de recherche, caractérisé à la fois par une puissante imagination théorique et par une grande ingéniosité méthodologique; le second, si l’on en modernise le langage, exprime, de façon générale, l’idéal de méthode auquel le sociologue contemporain continue d’obéir.En même temps, ses hypothèses ou ses découvertes indiquent des pistes de recherche dont la sociologie ultérieure devait démontrer la fécondité: Les Formes élémentaires suggèrent un ensemble de problèmes qu’on insérera ensuite dans le cadre de la «sociologie de la connaissance»; Le Suicide annonce les recherches sur le rôle de la famille dans l’insertion sociale de l’individu; De la division du travail préfigure les recherches concernant l’effet de l’intégration professionnelle sur l’intégration sociale. Ces exemples, qu’il serait facile de multiplier, montrent que, de tous les classiques de la sociologie, Durkheim est probablement aujourd’hui le plus présent.2. Les durkheimiensCe qui distingue Émile Durkheim des autres «pères fondateurs» de la sociologie c’est qu’il fut à proprement parler un chef d’école. Son projet impliquait, en effet, que la fondation de cette nouvelle science fût le fruit d’un travail collectif où chacun des membres de l’équipe se spécialiserait dans une branche du savoir à constituer et ferait valoir le point de vue sociologique dans les disciplines ou les domaines d’étude existant déjà. Ce programme fut en bonne partie réalisé. Durkheim sut s’attacher une équipe de brillants collaborateurs parmi lesquels Célestin Bouglé (1870-1940), Hubert Bourgin (1874-1955), Georges Davy (1883-1976), Paul Fauconnet (1874-1938), Louis Gernet (1882-1964), Maurice Halbwachs (1877-1945), René Hertz (1881-1915), Henri Hubert (1872-1927), Paul Huvelin (1873-1924), Paul Lapie (1869-1927), Marcel Mauss (1872-1950), Gaston Richard (1860-1945), François Simiand (1873-1935). Un tel rassemblement de talents réunis autour d’un même but – fonder la sociologie – fut un événement unique dans l’histoire de la discipline.« L’Année sociologique »La revue L’Année sociologique fut non seulement l’organe du groupe durkheimien mais l’instrument même de sa constitution. Les douze volumes de sa première série (1898-1913), publiés du vivant de Durkheim, sont autant de pierres fondatrices de ce qui fut assez vite appelé «l’école française de sociologie». L’idée de créer cette revue naquit au printemps de 1896 lors d’entretiens entre Durkheim et Bouglé, jeune agrégé de philosophie qui venait de faire paraître un livre sur Les Sciences sociales en Allemagne et cherchait à se spécialiser dans cette discipline nouvelle. Le projet ne prit vraiment corps qu’au début de 1897 et le premier volume fut publié un an plus tard. Il faut dire que la formule des Années , revue présentant annuellement les principales productions d’un secteur du savoir, était alors très en vogue. L’Année psychologique (1895), notamment, dirigée par Binet et publiée par son laboratoire de psychologie physiologique a pu servir de modèle à L’Année sociologique .Cependant, en 1895 encore, Durkheim soutenait que la littérature véritablement sociologique n’était pas assez abondante pour alimenter une revue périodique: il visait, il est vrai, la Revue internationale de sociologie , créée dès 1893 par René Worms, et jugeait que cette entreprise était prématurée. En fait, cette déclaration n’était pas contradictoire avec le projet de L’Année sociologique . L’originalité de cette dernière venait précisément de la manière dont elle résolvait ce paradoxe: comment vouloir rendre compte de la production d’une discipline qui reste complètement à constituer? L’objectif, d’ailleurs déclaré, de L’Année sociologique était différent. Il s’agissait de présenter et d’analyser les recherches qui se faisaient dans les «sciences spéciales» – histoire et ethnographie des religions, histoire du droit, criminologie, statistique morale, science économique, linguistique, archéologie, géographie humaine, etc. – et de voir si l’on pouvait en extraire des matériaux utilisables par la sociologie. Seule la première section, intitulée «Sociologie générale» avait vocation de rendre compte de la littérature proprement sociologique, c’est-à-dire qui se donnait pour telle, et, pour cette raison même, elle était considérée comme la moins utile. L’Année sociologique avait donc un caractère unique parmi les revues du même genre. Alors qu’elle contribuait à créer une science, à définir son domaine, elle pouvait donner l’illusion d’une science déjà constituée ayant son organisation interne et ses disciplines auxiliaires. On comprend dans cette perspective l’importance accordée au plan de classification qui ordonnait les comptes rendus. Les divisions et subdivisions thématiques permettaient de définir les diverses régions du territoire de la sociologie et de légitimer sa prétention de légiférer sur tous les aspects de la vie de l’homme en société. En outre, le caractère critique des analyses permettait aux durkheimiens de faire valoir leur point de vue sur toutes sortes de sujets qu’ils avaient à peine commencé d’explorer, et d’annexer des savoirs produits par d’autres disciplines.Cet intérêt «stratégique» de L’Année pour la constitution de la nouvelle science peut, seul, expliquer la durée d’une entreprise qui nécessita un travail collectif considérable. Les douze volumes de la première série analysèrent 4 800 livres ou articles et en signalèrent (sans commentaire) 4 200 autres. Et ces analyses critiques étaient souvent fort développées puisque 1 767 dépassaient une page de revue (certaines allant jusqu’à 10 voire 20 pages). L’Année sociologique était donc bien essentiellement une revue de bibliographie critique, même si elle présentait aussi, au moins dans ses dix premiers volumes, des «mémoires originaux», articles souvent substantiels. Notons que ces mémoires provenaient des membres de l’équipe, sauf au début où Durkheim fit appel à des auteurs étrangers et prestigieux (Simmel, Steinmetz, Ratzel). Après 1907, l’entreprise s’essouffla un peu, chacun voulant consacrer plus de temps à ses travaux personnels, et aussi parce que l’entreprise fondatrice et légitimatrice avait moins de raison d’être. L’Année sociologique , réduite aux analyses, parut tous les trois ans (1910 et 1913), tandis qu’était créée parallèlement la collection des Travaux de l’Année sociologique .La participation à cette entreprise collective est le meilleur critère pour cerner la population des durkheimiens. Sans doute serait-il excessif et même erroné de définir comme durkheimiens tous ceux qui y ont contribué. Certains n’ont eu qu’une collaboration minime ou épisodique; un auteur comme Muffang, responsable d’une rubrique sur l’anthroposociologie qui figura au sommaire des trois premiers volumes, n’avait rien de commun avec le durkheimisme. De même il serait exagéré de considérer le célèbre linguiste Antoine Meillet comme un disciple de Durkheim, sous le prétexte qu’il tint assez régulièrement une rubrique consacrée au langage dans L’Année , et y publia un mémoire. Mais tous les collaborateurs de Durkheim et pratiquement tous ceux qui ont été dans sa mouvance ont très activement participé au travail bibliographique de L’Année sociologique (sauf Granet).La réussite de l’entreprise n’est pas sans rapport avec plusieurs facteurs d’intégration et de solidarité de l’équipe. Son recrutement était assez homogène quant à la formation universitaire. Plus de la moitié des quarante-trois collaborateurs étaient agrégés de philosophie (22) et/ou anciens élèves de l’École normale supérieure (24). C’est surtout après la venue de Durkheim à Paris que le recrutement se concentre sur les normaliens et autour du noyau Durkheim, Hubert, Mauss – beaucoup des jeunes recrues ayant suivi les cours de Hubert et de Mauss à l’École pratique des hautes études – alors que Bouglé et Simiand avaient joué un rôle important au début. À cette homogénéisation progressive il faut ajouter un autre facteur important d’intégration: l’engagement socialiste. La plupart des principaux collaborateurs (à l’exception de Durkheim lui-même, de Richard et de Bouglé qui était radical-socialiste) se retrouvèrent autour de Lucien Herr, l’influent bibliothécaire de l’École normale supérieure, dans la Société nouvelle de librairie et d’édition (1899) et son émanation militante le Groupe de l’unité socialiste.En dépit des liens d’amitié, de collaboration ou même de parenté qui unissaient certains de ses membres, l’équipe dans son ensemble n’était pas un groupe d’interconnaissance. Les relations n’étaient étroites qu’à l’intérieur de certaines fractions du groupe. C’est à Durkheim que revenait la tâche de centraliser les communications. Le tandem formé par Mauss et Hubert, très proche de lui, guidait les activités de la plupart des jeunes collaborateurs et Fauconnet gravitait autour de ce noyau central. Mais deux sous-groupes œuvraient dans un relatif isolement: celui que formaient Bouglé, Lapie et Parodi, soucieux de faire la part du psychologique dans l’explication des faits sociaux, et celui qui réunissait, autour de Simiand, Halbwachs et les frères Bourgin. Il y avait encore la paire formée par les deux juristes lyonnais (Lévy et Huvelin), celle des géographes (Demangeon et Vacher), et enfin quelques individus isolés dont Richard fut le meilleur exemple.Parallèlement à ces fractions, on peut discerner une stratification au sein du groupe. Quand les décisions qui touchent au sort de la revue sont à prendre, Durkheim ne manque pas de consulter une sorte d’état-major composé de Bouglé, Fauconnet, Hubert, Mauss et Simiand. Stratification légitime puisqu’elle reflète assez exactement l’inégalité des contributions à l’entreprise. L’essentiel du travail a été le fait d’un groupe assez restreint: ainsi Durkheim, Mauss et Hubert ont signé à eux trois environ la moitié des analyses et des mémoires, et plus de trois analyses sur quatre ont été le fait des neuf collaborateurs les plus productifs. Seuls G. Richard et H. Bourgin semblent ne pas avoir eu un rôle à la mesure de l’importance de leur contribution. Ce sont eux, aussi, qui se séparèrent du groupe, le premier en 1907, le second après la guerre.La défection de Richard, qui allait devenir un des adversaires déclarés du durkheimisme, fut la seule notable qu’eut à subir l’équipe du vivant de Durkheim. C’est là un trait qui mérite d’être souligné: en dépit de divergences doctrinales initiales, de l’existence de certaines fractions, du travail colossal qu’impliquait la collaboration à L’Année , l’équipe apparut comme de plus en plus homogène et ne connut aucune rupture fracassante. En cela aussi, L’Année sociologique a été une incontestable réussite.Le domaine de la sociologieL’Année sociologique était délibérément conçue comme une sorte de machine de guerre destinée à annexer des territoires que la sociologie pouvait occuper et exploiter. Cela justifiait assez l’accusation d’«impérialisme sociologique» dont on taxait les durkheimiens. Le plan de classification de L’Année avait précisément pour fonction de délimiter et de quadriller le domaine de la nouvelle discipline. Tout en variant peu dans ses grandes masses, ce plan subissait des réorganisations successives internes à chaque section. Ces changements tenaient à ce que les divisions de la sociologie étaient chaque année mises à l’épreuve des nécessités pratiques de la classification; ils reflétaient aussi l’évolution des préoccupations des durkheimiens et leur découverte de nouvelles questions. Le plan de classification avait en effet une fonction sélective: par l’importance relative qu’il accordait à tel ou tel secteur, il désignait les régions du territoire de la sociologie qu’il convenait d’explorer en priorité. Le succès de L’Année sociologique fut tel que la classification qu’elle proposait s’imposa à beaucoup de sociologues comme une véritable catégorie de la connaissance et que ses choix et ses silences contribuèrent longtemps à définir ce qui relevait ou non du domaine de la sociologie.Sous ce rapport, il y a peu à dire de la première section «Sociologie générale», tenue d’abord par Bouglé mais où beaucoup collaboraient. Elle rendait compte d’ouvrages généraux, ou touchant à la psychologie sociale ou à des questions de méthode. La seconde section «Sociologie religieuse» occupait en revanche une place prééminente. Elle était assurée par Mauss et Hubert assistés dans les dernières années de nouveaux collaborateurs dont Hertz. Ses subdivisions étaient très raisonnées et établissaient notamment une typologie des sociétés humaines allant des systèmes totémiques aux systèmes religieux nationaux et universalistes. La troisième section intitulée « Sociologie morale et juridique» était définie comme «l’étude des règles morales et juridiques considérées dans leur genèse». Outre les études sur les systèmes juridiques des différents types de sociétés, on y classait les travaux sur la famille, le mariage, la condition de la femme, l’organisation sociale et politique et le droit pénal. Y participaient le plus activement Durkheim, Fauconnet ainsi que les deux juristes du groupe, E. Lévy et Huvelin. Par contraste avec la précédente, la section «Sociologie criminelle et statistique morale» était supposée étudier les «règles morales et juridiques considérées dans leur fonctionnement». On y trouvait les travaux sur la criminalité, le suicide, le système répressif, ainsi que des études de statistique démographique sur la nuptialité, les divorces. Richard puis Fauconnet et Ray furent les principaux responsables de cette section. Quant à la cinquième section consacrée à la «Sociologie économique», elle était l’œuvre quasi exclusive de Simiand, Halbwachs et des frères Bourgin et son plan de classification faisait l’objet d’un soin tout particulier. La sixième section visait à regrouper sous l’intitulé «Morphologie sociale» les questions de géographie humaine, de démographie (population, migration) et l’étude des groupements ruraux et urbains. Elle était assurée essentiellement par Durkheim et Halbwachs. Enfin, la septième section, «Divers», comportait trois rubriques, la sociologie esthétique, le langage (rubrique assurée par Meillet), la technologie.Cette classification destinée en principe au regroupement des ouvrages correspond assez bien au programme de recherche des durkheimiens; leur œuvre positive s’inscrit dans les cadres définis par leur œuvre critique. Ainsi, la prééminence accordée à la religion est conforme à l’intérêt nouveau que porte Durkheim à ce sujet à partir des années 1896-1897. Encore faut-il préciser la nature de cet intérêt: il se double d’un recours privilégié aux matériaux ethnographiques et est intimement lié à une sociologie de la connaissance. En quête des formes élémentaires des phénomènes sociaux, les durkheimiens se tournaient vers les sociétés primitives supposées plus simples (même si ce postulat était parfois mis en doute). L’utilisation d’observations directes (faites par d’autres, il est vrai) de nombreuses sociétés à dimension restreinte, donnant l’impression qu’on pouvait les appréhender dans leur totalité, s’imposait d’autant plus qu’étaient limitées les données disponibles sur les sociétés modernes, occidentales et complexes. D’autres raisons ne pouvaient que les renforcer dans ce choix. Il y avait d’abord l’abondance et la qualité des travaux ethnographiques anglais et américains, par exemple sur le totémisme, et L’Année sociologique se fit une spécialité de leur discussion. Ensuite, ce détour par les sociétés primitives leur permettait d’aborder avec distance et objectivité un sujet aussi brûlant que la religion et correspondait bien à leur souci de démarquer la science sociologique des prises de position partisanes et de l’observation journalistique. Enfin les études ethnologiques faiblement institutionnalisées et peu valorisées n’offraient guère de résistance à leur investissement par la nouvelle discipline.Les travaux de Durkheim et de ses plus proches collaborateurs témoignent de cette place centrale occupée par la sociologie ethnologique de la religion. Il faut citer notamment les célèbres études de Hubert et Mauss sur le sacrifice (1899) et la magie (1904), de Hertz sur la représentation collective de la mort (1907). Remarquons que les durkheimiens ne se limitaient pas aux données provenant des sociétés archaïques. C’est ainsi qu’ils annexèrent les études de folklore et constituèrent la religion populaire en objet sociologique, notamment par les travaux de Hubert, de Czarnowski sur le culte de saint Patrick (1919) et l’étude de Hertz sur le culte de saint Besse (1913), rare exemple d’un travail sur le terrain accompli par un durkheimien.L’étude des représentations religieuses, la réflexion sur les notions de sacré ou de mana étaient indissociables chez les durkheimiens d’un intérêt pour la genèse sociale des catégories de pensée (notions de temps, d’espace, de causalité, de substance, etc.), leur but étant de montrer que les relations sociales ont servi de prototype aux relations logiques. Outre le texte bien connu de Durkheim et Mauss sur les Formes primitives de classification (1901), il faut mentionner la belle étude de Hubert sur la Représentation du temps (1905), celle de Hertz sur la Prééminence de la main droite (1909) ou encore les travaux ultérieurs de Granet sur la conception de l’espace et du temps dans la pensée chinoise. C’est dans la même perspective et sous l’influence du groupe durkheimien que le philosophe Lucien Lévy-Bruhl s’intéressait aux Fonctions mentales dans les sociétés inférieures (1910). Enfin la sociologie de la connaissance était aussi un thème central de l’œuvre de Bouglé aussi bien dans sa thèse de 1899 sur Les Idées égalitaires , où il étudiait les conditions morphologiques de l’émergence et de la diffusion de l’égalitarisme, que dans son livre sur Le Régime des castes (1908) qui, traitant d’un système inégalitaire à l’extrême, formait une sorte de contre-épreuve à sa thèse.Après la sociologie des religions, la sociologie du droit fut le secteur le plus étudié par les durkheimiens. Cette place importante s’explique par le lien étroit qu’ils établissaient entre le droit, d’une part, la morale et la religion, de l’autre. Un trait particulier à ce domaine est que la perspective durkheimienne ne s’opposait pas radicalement à celle de certains juristes éminents de l’époque, tels Duguit ou Hauriou. Cela ne pouvait que renforcer l’inclination des durkheimiens à privilégier l’approche ethnologique dans laquelle ils trouvèrent un territoire spécifique et à laquelle ils firent d’importantes contributions: celles de Durkheim, Mauss et Fauconnet sur la peine et la responsabilité, les travaux de Davy sur la genèse du droit contractuel, de Gernet sur la pensée juridique en Grèce ou encore de Huvelin: Magie et droit individuel (1907). D’autres collaborateurs de L’Année comme Richard (L’Origine de l’idée de droit , 1892), E. Lévy, prophète autant que professeur, Jean Ray (Essai sur la structure logique du code civil français , 1926), soulignaient la relativité sociale du droit.Seul le secteur de la sociologie économique échappait largement à l’emprise de l’approche ethnologique. Simiand s’orientait vers l’étude des facteurs de l’évolution des prix et des salaires. Les travaux relatifs aux classes sociales et à la stratification de la consommation et des modes de vie, domaine où s’illustrait Halbwachs avec La Classe ouvrière et les niveaux de vie (1913) étaient considérés comme relevant de cette même rubrique.Un autre domaine de prédilection du groupe fut la morphologie sociale qui était à la fois un thème récurrent de la sociologie durkheimienne et un intitulé pouvant recouvrir des travaux aussi divers que l’étude de Mauss et Beuchat Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos (1906) ou la sociologie urbaine de Halbwachs: Les Expropriations et le prix du terrain à Paris (1909). C’est qu’il s’agissait de constituer une branche de la sociologie en annexant le territoire d’autres disciplines. Mais il est bien d’autres domaines d’étude et d’autres secteurs disciplinaires que la sociologie durkheimienne s’efforça avec plus ou moins de succès d’occuper ou, au moins, d’influencer: la technologie, avec les travaux de Hubert, le préhistorien du groupe; la linguistique avec la collaboration de Meillet qui publia dans L’Année «Comment les mots changent de sens» (1906); l’archéologie et l’orientalisme, avec Hubert, Maître, Fossey, I. Lévy, Doutté; les études grecques, avec L. Gernet, H. Jeanmaire, M. David, P. Roussel; l’esthétique, avec Charles Lalo, auteur de Programme d’une esthétique sociologique (1914) et de L’Art et la vie sociale (1921).En revanche, certains secteurs furent curieusement délaissés par les durkheimiens. Si l’on se réfère aux critères actuels, les deux exemples les plus frappants sont celui de la sociologie politique, qui n’apparut guère dans L’Année sociologique , et l’étude des relations entre éducation et mobilité sociale. Le seul membre de l’équipe à s’intéresser à ce dernier domaine fut Paul Lapie, qui inventa notamment les tableaux de mobilité dans «L’École et la profession des écoliers» (1904). Mais, comme ce genre de travaux paraissait alors relever davantage de la psychologie, les recherches pionnières de Lapie ne furent pas reconnues par ses collègues de L’Année sociologique . Cela contribua sans doute à orienter Lapie, pourtant bien armé pour la recherche, vers une carrière administrative. Il n’est pas douteux que ces silences des durkheimiens eurent des effets durables sur le destin de leur discipline.Les durkheimiens et l’UniversitéLa réussite universitaire des durkheimiens frappa leurs contemporains et fut dénoncée par les milieux intellectuels de droite comme la mainmise d’un clan sur l’Université. En réalité, le succès institutionnel de la sociologie durkheimienne fut, comme l’a montré V. Karady, des plus modestes si on le compare à la percée universitaire de la géographie vidalienne à la même époque ou au nombre des postes créés pour les historiens.Les carrières individuelles des membres du groupe furent d’ailleurs assez contrastées. Grâce à l’estime que lui portait L. Liard, le directeur de l’enseignement supérieur, Durkheim fut, dès l’âge de vingt-neuf ans, chargé du cours de science sociale et pédagogie à l’université de Bordeaux. Mais, malgré plusieurs tentatives, il ne réussit à venir à Paris qu’en 1902, en remplacement de Ferdinand Buisson élu député, dans la chaire de science de l’éducation, et n’y fut titularisé qu’en 1906. Il fut en outre à deux reprises candidat malheureux au Collège de France. Pour certains membres du groupe, il n’est pas douteux que leur orientation sociologique a pu accélérer leur carrière: ainsi Bouglé, Lapie et Fauconnet accèdent à un poste dans une université de province avant d’avoir soutenu leur thèse. Mais pour d’autres, plus spécialisés dans des domaines n’ayant pas droit de cité à l’Université, les carrières sont plus marginales: Mauss et Hubert enseignent à l’École pratique des hautes études; Simiand est bibliothécaire au ministère du Commerce et devient après la guerre professeur au Conservatoire national des arts et métiers. Cette marginalité ne fait que sanctionner l’investissement intellectuel nécessaire à la reconversion par rapport à la formation d’origine (par exemple étude des langues orientales et de l’histoire des religions pour Mauss, ou études juridiques ou économiques pour Simiand, Bourgin, Halbwachs, Davy...). Mais l’accumulation des titres universitaires ne favorisait pas nécessairement la carrière: Hubert Bourgin, normalien, reçu premier à l’agrégation de lettres, docteur ès lettres, docteur en droit, resta dans l’enseignement secondaire.Ce qui, alors, contribua à accréditer l’idée d’une hégémonie des durkheimiens dans l’Université, c’est le fait que le succès de la sociologie durkheimienne, s’il fut limité par rapport à d’autres disciplines, fut total par rapport aux autres sociologies. Les durkheimiens, groupe proprement universitaire et de recrutement élevé, eurent à cœur de se démarquer nettement des entreprises concurrentes qu’ils disqualifiaient sur le plan scientifique en les traitant soit comme des généralités d’amateurs, soit comme des doctrines à visée idéologique ou pratique. En s’assurant le quasi-monopole de leur spécialité dans l’enseignement supérieur, ils marginalisèrent leurs rivaux potentiels, tels les continuateurs de Le Play ou les divers sociologues que René Worms cherchait à regrouper. Quant à Tarde, le grand rival de Durkheim, il était magistrat et mourut en 1904, quatre ans après son élection au Collège de France.Mais dans la pénétration de l’Université par les durkheimiens il faut voir plutôt la récompense de mérites individuels que la reconnaissance de l’autonomie de la sociologie, qui n’est entrée dans l’enseignement supérieur que sous le couvert d’autres spécialités (comme les sciences de l’éducation). D’ailleurs, les prétentions de la sociologie à vouloir régenter les disciplines voisines ne pouvaient que susciter de vives résistances, notamment de la part des historiens. Quant aux juristes, ils se méfiaient de cette nouvelle science, tout en regrettant de la voir se développer dans les facultés de lettres. C’est surtout avec la philosophie que les durkheimiens cherchèrent à établir une relation d’interdépendance, afin de profiter de sa position dominante.Cette stratégie n’était pas sans risque. La réforme universitaire de 1920, en associant la sociologie à la morale pour en faire un des quatre certificats composant la licence de philosophie, consacra moins l’autonomie institutionnelle de la sociologie que sa dépendance à l’égard de la philosophie. Ce fut également en 1920 que Lapie, devenu directeur de l’enseignement primaire, introduisit la sociologie dans le programme des écoles normales. Cela eut pour effet de déclencher, à partir de 1923, une offensive en règle des milieux conservateurs et de ranimer d’anciennes préventions à l’égard de la sociologie. Cette «affaire Lapie» fit voir que les durkheimiens étaient acculés à une position défensive, tant leurs ambitions s’étaient réduites quant au rôle social de leur discipline.Les durkheimiens après DurkheimAprès la guerre, le groupe durkheimien se trouva privé de son chef et d’un grand nombre de ses plus jeunes et plus brillantes recrues. On songe d’abord à Hertz qui avait déjà pu faire ses preuves, mais bien d’autres périrent au front: Jean Reynier qui travaillait sur l’ascétisme; Antoine Bianconi, spécialiste des langues africaines; Georges Gelly, spécialiste d’esthétique littéraire; Maxime David, qui avait choisi d’étudier les concepts moraux de la Grèce antique; André Durkheim, le sociolinguiste du groupe. Henri Beuchat était mort en 1914 dans une expédition ethnographique sur les Esquimaux. Et d’autres disparitions prématurées vinrent, après la guerre, décimer encore davantage le groupe: Antoine Vacher, le géographe le plus proche des durkheimiens en 1920; René Chaillié en 1923; Jean Poirot en 1924; Huvelin la même année, enfin deux membres «fondateurs», Lapie et Hubert en 1927.Aucun des survivants n’avait l’universalité ni l’autorité intellectuelle nécessaires pour s’imposer comme le chef incontesté du groupe durkheimien considérablement réduit, vieilli, et qui ne sut pas s’attacher de nouvelles recrues. Il y eut pourtant plusieurs tentatives pour ressusciter l’entreprise collective. Le gros volume de L’Année sociologique publié en 1925 fut remarquable; pratiquement tous les anciens collaborateurs y participèrent. Mais il n’y eut qu’un second volume en 1927, ne comprenant que des mémoires. Une nouvelle tentative eut lieu en 1934 avec les Annales sociologiques , publiées en cinq séries indépendantes les unes des autres. À cette entreprise participaient de nouveaux collaborateurs mais, pour nombre d’entre eux, le durkheimisme n’était plus la référence principale. En outre, l’indépendance des séries, leur parution irrégulière marquaient bien la fin du caractère collectif de l’entreprise durkheimienne. Ces reprises furent donc un relatif échec quant au maintien du groupe, qui sut trouver cependant une autre base institutionnelle dans l’Institut français de sociologie créé en 1924 et qui servit de forum aux durkheimiens dans l’entre-deux-guerres.Cette situation de repli dans les tâches collectives n’empêcha pas l’accomplissement d’œuvres individuelles nombreuses et remarquables, qui étaient souvent, il est vrai, l’aboutissement de travaux entamés de longue date. C’est en 1920 que Fauconnet soutient sa thèse sur La Responsabilité et en 1922 que Davy devient docteur ès lettres avec La Foi jurée et Le Droit, l’Idéalisme et l’Expérience . Louis Gernet, qui avait soutenu sa thèse dès 1917, publie plusieurs travaux sur la pensée et le droit en Grèce ancienne; Marcel Granet soutient sa thèse en 1920 (Fêtes et chansons anciennes de la Chine ) et poursuit ses travaux sur la civilisation chinoise. C’est également après la guerre que Simiand publie presque tous ses livres, notamment son magnum opus Le Salaire, l’évolution sociale et la monnaie (1932). Quant à Marcel Mauss, il produit ses textes les plus connus, comme le célèbre Essai sur le don (1925) et se voue à la tâche de publier l’œuvre des durkheimiens disparus, notamment le livre de Hubert, Les Celtes (1932), et plusieurs cours de Durkheim. Il faut ajouter que Mauss, par son enseignement dans l’Institut d’ethnologie qu’il fonde en 1925 avec Lévy-Bruhl et l’américaniste Paul Rivet, eut une influence décisive sur toute une nouvelle génération d’ethnologues, qu’il incitait à travailler sur le terrain alors que lui-même était un ethnologue de cabinet. On peut citer parmi ses disciples, Alfred Métraux, Marcel Griaule, Germaine Dieterlen, Denise Paulme, Louis Dumont, Jacques Soustelle.Le durkheimien le plus productif et le plus éclectique fut durant cette période Maurice Halbwachs. La liste de ses principaux ouvrages, Les Cadres sociaux de la mémoire , 1925; Les Causes du suicide , 1930; L’Évolution des besoins dans la classe ouvrière , 1933; Morphologie sociale , 1938; La Topographie légendaire des Évangiles en terre sainte , 1941, ne donne qu’une faible idée de l’extraordinaire diversité des sujets qu’il traita dans ses très nombreux articles, comptes rendus et cours. Ce fut lui aussi qui contribua le plus à faire connaître en France les sociologies allemande et américaine (Max Weber, Veblen, l’École de Chicago par exemple).Le cas de Bouglé contraste avec celui des principaux membres du groupe. Sa production scientifique originale est réduite (L’Évolution des valeurs , 1922) et il se spécialise plutôt dans la vulgarisation et l’exposé des travaux des autres (Bilan de la sociologie française contemporaine , 1935). Mais surtout il se voue à l’organisation et la promotion de la recherche. C’est ainsi qu’il dirige à l’École normale supérieure le Centre de documentation sociale, qui recrute de nouveaux talents comme Marcel Déat, Raymond Aron, Georges Friedman, Jean Stoetzel, mais la plupart d’entre eux n’ont plus aucune allégeance au durkheimisme et se tournent vers d’autres références intellectuelles.La plupart des durkheimiens de la première heure connaissent à cette époque le couronnement de leur carrière. Fauconnet devient professeur à la Sorbonne en 1921. Bouglé, également professeur à la Sorbonne, devient directeur adjoint (1927) puis directeur (1935) de l’École normale supérieure. Halbwachs est nommé en 1919 professeur de sociologie à la nouvelle université de Strasbourg avant d’aller à la Sorbonne (1935) puis d’être élu au Collège de France en 1944, peu avant sa mort en déportation. Entrent également au Collège de France Mauss (1931) et Simiand (1932). Quant à Lapie, qui était, on l’a vu, directeur de l’enseignement primaire, il devient en 1925 recteur de l’Académie de Paris. Georges Davy, nommé à la Sorbonne en 1944, sera le dernier collaborateur direct de Durkheim à y enseigner. Sa retraite en 1955 marque le terme ultime de l’emprise durkheimienne sur l’enseignement universitaire de la sociologie et le moment où une nouvelle génération s’établit véritablement puisque Raymond Aron lui succède tandis que Jean Stoetzel est nommé sur une chaire nouvellement créée de psychologie sociale.
Encyclopédie Universelle. 2012.